
Cadre au forfait jours : votre autonomie est-elle réelle ou encadrée ? On fait le point.
Le forfait jours est souvent présenté comme un dispositif avantageux pour les cadres, leur offrant une flexibilité d’organisation et une meilleure conciliation entre vie professionnelle et personnelle. Mais cette autonomie affichée est-elle toujours réelle ? Lorsque les contraintes deviennent trop fortes ou que l’employeur garde la main sur l’emploi du temps, la convention de forfait jours peut perdre sa validité. Décryptage.
Le forfait jours, c’est quoi exactement ?
Le forfait jours permet de calculer le temps de travail non pas en heures, mais en jours. Concrètement, un salarié en forfait jours n’est pas soumis à la durée légale hebdomadaire de 35 heures, mais à un nombre maximal de jours travaillés par an, fixé en général à 218 jours.
Ce dispositif, instauré par la loi Aubry II en 2000, est réservé à certains salariés seulement :
- Les cadres autonomes : ceux dont les fonctions ne les conduisent pas à suivre un horaire collectif et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps ;
- Certains salariés non cadres, si un accord collectif le prévoit, à condition qu’ils bénéficient eux aussi d’une autonomie suffisante.
Mais cette autonomie ne doit pas être théorique. Elle doit exister concrètement au quotidien.
Les conditions de validité d’une convention de forfait jours
Pour qu’un forfait jours soit légal, plusieurs conditions doivent être réunies :
- Le forfait jours doit être prévu dans un accord collectif d’entreprise ou de branche ;
- Il doit faire l’objet d’une convention individuelle écrite entre l’employeur et le salarié ;
- Le salarié doit disposer d’une autonomie réelle dans l’organisation de son temps de travail ;
- L’employeur doit assurer un suivi effectif de la charge de travail et garantir le respect des temps de repos (quotidien et hebdomadaire) ;
- Un entretien annuel spécifique sur la charge de travail, l’articulation vie pro/perso et l’organisation du travail doit être organisé.
En l’absence de ces garanties, la convention peut être contestée.
Jurisprudence : ce que disent les juges
La Cour de cassation a plusieurs fois rappelé qu’un salarié ne peut pas être considéré comme autonome si :
- Son planning est fixé par son supérieur hiérarchique ou par la direction ;
- Sa présence est exigée à des horaires déterminés ;
- Il est soumis à des consignes strictes, qui limitent sa liberté d’organisation.
Dernier exemple en date : dans une décision du 24 janvier 2024 (n°21-21.014), la Cour de cassation a donné raison à des salariés d’un casino. Bien qu’ils aient signé une convention de forfait jours, leur emploi du temps était établi chaque mois par leur directeur, leur imposant des horaires précis et des consignes contraignantes. Résultat : leur forfait jours a été annulé, et les heures supplémentaires ont dû leur être réglées.
Autonomie ou responsabilité ? Une nuance importante
Avoir des objectifs à atteindre — commerciaux, budgétaires, organisationnels — ne signifie pas automatiquement qu’on est autonome.
Dans certains secteurs comme la restauration rapide, les responsables de point de vente, souvent cadres, peuvent organiser eux-mêmes leur planning. Mais cette souplesse est-elle librement choisie ou conditionnée par des exigences de présence et de rentabilité ?
La frontière est parfois floue : si le cadre se sent obligé de travailler à des horaires fixes pour atteindre ses objectifs ou répondre à des consignes implicites (comme ouvrir ou fermer le magasin), cela peut réduire fortement son autonomie réelle.
Ce n’est pas l’intitulé du poste ou le niveau de responsabilité qui compte, mais la réalité du quotidien.
Les risques pour l’employeur
Lorsqu’un salarié en forfait jours n’est pas réellement autonome, l’employeur s’expose à :
- La requalification du contrat : retour au décompte en heures, avec application des 35 heures hebdomadaires ;
- Le paiement rétroactif des heures supplémentaires effectuées au-delà du temps légal ;
- Des sanctions potentielles en cas de non-respect du droit au repos, y compris sur le plan de la santé au travail.
Ces risques peuvent entraîner des contentieux coûteux, tant sur le plan financier qu’en termes de climat social.
Pour les salarié·es : comment évaluer votre autonomie ?
Voici quelques questions simples à se poser :
- Planifiez-vous librement vos journées ou suivez-vous un planning imposé ou validé par un supérieur ?
- Vos horaires de travail sont-ils souples ou calqués sur ceux d’une équipe ?
- Avez-vous la possibilité de travailler à des moments que vous choisissez vous-même ?
- Pouvez-vous vous organiser sans justification permanente auprès de votre hiérarchie ?
Si la réponse est « non » à plusieurs de ces questions, l’autonomie peut être remise en cause.
Bonnes pratiques pour un forfait jours conforme
Pour qu’un forfait jours fonctionne dans de bonnes conditions :
Côté employeur :
- S’assurer que le poste justifie une vraie autonomie ;
- Laisser une liberté réelle dans l’organisation du travail ;
- Mettre en place un suivi régulier de la charge de travail et des temps de repos ;
- Organiser chaque année un entretien spécifique.
Côté salarié :
- Ne pas hésiter à faire remonter les éventuelles contraintes excessives ;
- Participer activement à l’entretien annuel ;
- Se rapprocher d’un représentant du personnel CFDT en cas de doute sur la légalité de sa convention.
La CFDT défend depuis longtemps une application rigoureuse du forfait jours, dans le respect des textes et des personnes. L’objectif est d’assurer un juste équilibre entre autonomie professionnelle et protection des droits.
Dans les entreprises où la pression des résultats est forte, comme dans la restauration rapide, il est d’autant plus essentiel de veiller à ce que l’autonomie ne devienne pas une contrainte déguisée. Le forfait jours ne doit pas être un outil de déréglementation du temps de travail, mais un cadre de souplesse bien encadré.
Le forfait jours peut être un outil intéressant pour les salarié·es autonomes, à condition que cette autonomie soit réelle et respectée. Lorsque ce n’est pas le cas, des recours sont possibles. Salarié·es comme employeurs ont tout intérêt à clarifier les conditions d’exercice de cette organisation du temps de travail.
La CFDT Brioche Dorée reste mobilisée pour informer, accompagner et défendre les salarié·es concernés. Si vous avez un doute sur votre situation, n’hésitez pas à nous contacter.
CFDT UES Brioche Dorée